Parmi les sujets de réformes du Président Sarkozy, il y a la gendarmerie. Un flou actuellement générateur d’inquiétude pour toutes les personnes concernées… et pour un groupe de sénateurs.
"La gendarmerie, c’est une organisation à part. C’est la manière la plus efficace de maintenir la tranquillité d’un pays, c’est une surveillance moitié civile, moitié militaire, répandue sur toute la surface, qui donne des rapports les plus précis."
Ce laïus, c’est Napoléon Ier qui l’écrit le 16 mai 1806 dans une lettre au roi de Naples. C’est aussi ce qui a été mis en exergue dans le rapport d’information qu’un groupe de travail issu de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat, a rédigé sur l’avenir de la gendarmerie.
Présidé par le sénateur ex-centriste du Vercors Jean Faure (UMP), le groupe est composé des sénateurs Michèle Demessine (Nord, communiste), Hubert Haenel (UMP, Alsace), Philippe Madrelle (socialiste, Bordeaux), Charles Pasqua (UMP, Neuilly), Yves Pozzo di Porgo (NC, Paris) et André Rouvière (socialiste, Gard).Ce groupe a donc rassemblé toutes les sensibilités politiques présentes au Sénat (à l’exception des centristes MoDem) et après de nombreuses auditions de décembre 2007 à mars 2008, il a esquissé des propositions dans un rapport approuvé à l’unanimité.
Lors d’un discours devant des gendarmes et des policiers le 29 novembre 2007, le Président de la République Nicolas Sarkozy a annoncé le rattachement de la gendarmerie au Ministère de l’Intérieur (actuellement au Ministère de la Défense) à partir du 1er janvier 2009, la préparation d’un projet de loi sur la gendarmerie courant 2008 et la mise en place d’un groupe de travail pour faire un état des lieux et des propositions.
Sans attendre une initiative gouvernementale, ce groupe de sénateurs a donc voulu anticiper en préconisant ses propres suggestions. Notons au passage que c’est par ce type d’initiatives que les parlementaires sont les plus aptes à capter leur pouvoir face à l’Exécutif, même si le rapport pourrait avoir peu de poids dans une décision finale qui restera du ressort du gouvernement, il pourrait y contribuer.1. Un état des lieux de la gendarmerieLe rapport signale en premier lieu que la gendarmerie est l’héritière de la maréchaussée royale, l’une des plus anciennes institutions françaises et qu’elle est une force de police à statut militaire. À ce titre, un gendarme n’a pas le droit de faire grève ni de se syndiquer. Le but de la gendarmerie est d’assurer la sécurité du territoire (95% de la superficie totale, essentiellement des zones rurales) pour environ 50% de la population. La police étant plus centrée sur la sécurité urbaine. Mais elle exerce aussi des missions civiles, telle que la police administrative, la police judiciaire ainsi que des missions militaires (qui ne représentent que 5% de l’activité totale de la gendarmerie).
Selon le rapport, il y a 101 000 personnes travaillant à la gendarmerie dont 99 000 militaires, organisés en brigades territoriales implantées dans chaque canton de France. Son positionnement institutionnel depuis 2002 est un peu bâtard puisqu’il dépend à la fois du Ministère de l’Intérieur (pour les missions de sécurité intérieure) et du Ministère de la Défense (pour les missions militaires et les ressources humaines).
La gendarmerie peut se targuer de bons résultats dans la lutte contre l’insécurité routière. Des groupes d’intervention régionaux ont été créés pour renforcer la coopération de la police et de la gendarmerie. Après des crises sociales en 1989 et 2001, la situation de 2008 peut être décrite par un "climat temporairement apaisé mais caractérisé par de fortes attentes".
Le principal malaise des gendarmes concerne une revalorisation de leur rémunération, en raison d’un net décrochage de celle-ci par rapport à celle des policiers.2. Les réformes actuelles pour la gendarmerie. Le rattachement de la gendarmerie au Ministère de l’Intérieur prévu le 1er janvier 2009 se fera en préservant son statut militaire et en excluant toute fusion avec la police.
La gendarmerie est par ailleurs impliquée dans l’élaboration d’un nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et de la future loi de programmation militaire. De plus, elle fait aussi l’objet d’un audit dans le cadre de la RGPP (révision générale des politiques publiques) et les perspectives des effectifs et des moyens de la gendarmerie jusqu’en 2012 seront intégrées dans la seconde loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
Enfin, autre engagement présidentiel, une parité globale de traitement et de carrière sera assurée entre les gendarmes et les policiers.3. Les fondamentaux de la gendarmerie. L’intérêt d’avoir deux composantes de sécurité (gendarmerie et police) n’est pas anodin : il s’agit d’éviter de permettre à un corps d’avoir le contrôle des forces de sécurité intérieure, dans le cas, par exemple, d’un coup d’État. Le maintien de deux corps de sécurité différents empêche toute dépendance du pouvoir politique sur les forces armées et de police.
C’est donc une garantie pour l’État républicain et les citoyens de prévenir toute dérive séditieuse ou de contestation. Par ailleurs, la gendarmerie assure la continuité entre les actions policières et les actions militaires ainsi que la proximité grâce au maillage territorial.4. Les recommandations des sénateurs. Dix-sept recommandations ont été suggérées au gouvernement par le groupe de travail de la Commission sénatoriale réparties dans quatre chapitres.4.1. Clarifier le positionnement institutionnel de la gendarmerie.
Le rapport insiste sur la nécessité de clarifier son positionnement et de pérenniser son statut militaire en lui reconnaissant la qualité de quatrième armée après l’armée de terre, l’armée de l’air et la marine (comme l’Arme des carabiniers italiens dans la loi italienne du 30 mars 2000).
Le rattachement notamment budgétaire de la gendarmerie au Ministère de l’Intérieur a pour but d’optimiser la lutte contre la délinquance par une meilleure coordination entre la police et la gendarmerie.
Mais la future loi devrait maintenir les liens de la gendarmerie avec le Ministère de la Défense notamment en réaffirmant ses missions militaires et en garantissant son statut militaire. La gendarmerie devrait être gérée au sein du Ministère de l’Intérieur par une direction générale autonome (ne dépendant pas de la direction générale de la police).4.2. Préserver la coexistence des deux forces de sécurité, police et gendarmerie.
L’action des groupes d’intervention régionaux devrait être renforcée pour une meilleure coordination face à la menace terroriste et face à la criminalité internationale.
La mutualisation des moyens de la police et de la gendarmerie devrait être développée (logistique, achat d’équipements coûteux etc.) mais la formation initiale devrait rester spécifique à chaque corps.
Le dualisme devrait être maintenu également pour la police judiciaire. Le magistrat instructeur doit en effet pouvoir choisir librement le service enquêteur (police ou gendarmerie). Pour remplir cette mission, la nouvelle loi devrait donc rappeler que la gendarmerie est placée sous la responsabilité de l’autorité judiciaire.
Le rapport préconise aussi l’allégement du formalisme du système de réquisition (qui est la conséquence du principe de subordination des forces armées au pouvoir politique) tout en maintenant son caractère écrit.
Il souhaite aussi que la police privilégie une logique d’agglomération urbaine et que la gendarmerie s’inscrive dans une logique de contrôle du territoire et des flux, quitte à redéployer les effectifs des deux corps.
Le groupe sénatorial veut également veiller à ce que la gendarmerie garde une implication aussi soutenue dans les opérations extérieures, notamment dans les coopérations européennes et internationales.4.3. Donner les moyens pour remplir pleinement les missions.
Cela signifierait d’une part le maintien à niveau actuel des effectifs, et donc, ne pas appliquer à la gendarmerie le principe de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite (qui se traduirait par la suppression d’un poste pour chaque brigade territoriale, soit 3 500 pertes), d’autre part la poursuite des investissements pour moderniser les équipements, intégrer les nouvelles technologies et rénover le parc immobilier.
Cela signifierait aussi de transférer la responsabilité du transports des prévenus et des condamnés à l’administration pénitentiaire afin d’utiliser au mieux les effectifs de la gendarmerie (ces tâches indues lui coûtent très cher et n’utilisent pas à fond ses compétences).
Cela signifierait enfin le maintien du logement de fonction, qui demeure d’ailleurs plus une obligation statutaire (celle de vivre en caserne avec sa famille) pour être immédiatement disponible qu’un simple avantage en nature.4.4. Améliorer la gestion des ressources humaines.
Le management du personnel est une compétence encore récemment peu prise en compte par l’État. Comme pour les autres corps de fonctionnaire, la gestion des ressources humaines de la gendarmerie devrait être améliorée.
Elle pourrait s’appuyer sur trois bases : une parité globale de traitement et de carrière entre policiers et gendarmes (promesse du Président Nicolas Sarkozy), une meilleure représentation interne des gendarmes (actuellement, les représentants sont tirés au sort, il faudrait qu’ils soient élus), et un renforcement de la réserve de la gendarmerie comme renfort pour faire face aux nouvelles missions en zone péri-urbaines. Bon sens rural ?
Toutes ces propositions sont, globalement, le résultat du bon sens sénatorial qui veut préserver un corps aux particularités liées tant à l’histoire qu’à la nécessité de l’ambivalence (Intérieur, Défense et Justice).Elles pourraient préfigurer ce que la loi en perspective pour cette année inclurait.
AGORA_VOX - Sylvain Rakotoarison (7 mai 2008)
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