dimanche 2 mars 2008

LE TASER ou pistolet à impulsion électrique (PIE)

LE MONDE 28.02.08 à 15h24
Le Taser permet d'immobiliser des individus à distance en envoyant dans la peau deux fils de cuivre équipés d'ardillons, parcourus par une impulsion électrique de 50 000 volts.

Dans le gymnase du Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie (CNEFG), à Saint-Astier (Dordogne), une trentaine de stagiaires lorgnent sans emballement l'arme que pointe vers eux le maître instructeur Stéphane Presle. Ils s'apprêtent à tester sur eux cet engin carré comme un ordre, que la doctrine officielle s'évertue à appeler "pistolet à impulsion électrique", ou PIE. Mais sa réputation court déjà les commissariats, les gendarmeries et les rubriques de faits divers sous son nom de marque : Taser.

Un par un, hommes et femmes s'avancent à distance de tir. Une pression sur la gâchette et deux fils de cuivre équipés d'ardillons sont projetés dans la peau, cela accompagné d'un crépitement électrique de cinq secondes. Atteint par 50 000 volts, le corps s'affale sur le sol. Le choc est amorti par la poigne des assistants.
"Cela provoque une tétanie totale. Le système locomoteur est perturbé", analyse Stéphane Presle en bourreau pédagogue. Les "victimes" évoquent "une contraction incontrôlable des muscles" accompagnée d'une "douleur violente" qui les laisse conscientes mais sans réaction. La sensation est fulgurante, extrêmement désagréable, a pu constater le journaliste du Monde, qui s'est prêté à l'expérience. Après deux jours de formation, les stagiaires seront qualifiés comme moniteurs. Ils distilleront leur enseignement à d'autres gendarmes et enverront quelques volts formateurs. "Le Taser n'est pas un joujou. Cela fait réellement mal. Il faut l'utiliser à bon escient", avait prévenu le colonel Didier Quenelle, responsable du CNEFG.
Une sorte de vaccination contre l'intempérance. Car l'arme suscite les polémiques. Dernière en date, dans la nuit du 11 au 12 février, les policiers ont utilisé le Taser pour réprimer des échauffourées à l'intérieur du centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes. La Préfecture de police de Paris a confirmé, lundi 25 février, les informations rapportées par la Cimade, une association habilitée dans ces centres, et la Ligue des droits de l'homme. Elle a annoncé que l'inspection générale des services (IGS) avait été saisie.
La gendarmerie dispose actuellement de 2 600 Taser du modèle X26. La police en possède 1 105 et en a commandé 850 supplémentaires, à 1 050 euros pièce et 32 euros la cartouche. Testée en 2003, avalisée en 2005 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, cette nouvelle technologie pourrait se trouver couramment accrochée à la ceinture des forces de l'ordre. "Il y a vingt-cinq ans, nous avions trois armes : un pistolet et nos deux mains, soit le choix entre une létalité extrême ou une létalité nulle, justifie le colonel Quenelle. Aujourd'hui, face à la montée de l'agressivité, il nous faut d'autres moyens pour graduer notre réponse. Le PIE en est un, notamment utile dans la zone d'exercice la plus courante du gendarme : de 0 à 10 mètres." Même adhésion chez les policiers. "C'est un outil rassurant pour le fonctionnaire dans certaines situations dangereuses, estime Joaquim Masanet, secrétaire général de l'UNSA-Police. Il est plus facile de sortir le Taser que le pistolet."

Le débat vient de là, justement. "Il y a facilité d'usage, et donc un risque énorme d'abus", constate Benoît Muracciole, responsable d'Amnesty International. Les organisations de défense des droits de l'homme redoutent ce genre d'usage inconsidéré. Aux Etats-Unis, l'arme est utilisée depuis 1999 par les polices locales, si fréquemment que "to tase" ("taser") est devenu un verbe commun. Les dérives se multiplient, des vidéos mises en ligne montrent régulièrement des citoyens ordinaires foudroyés pour des peccadilles.
Joaquim Masanet s'agace de la comparaison avec ces cow-boys américains. "Nous n'avons pas le même statut, pas le même encadrement, pas la même formation", tempête le syndicaliste. Mais les détracteurs de l'arme dénoncent le risque de forces de l'ordre toutes-puissantes, jouant de l'intimidation et pointant leur visée laser à la moindre contrariété. "Il n'y aurait rien de plus dangereux que de banaliser le Taser", admet le commissaire divisionnaire Christophe Fichot, ancien chef du bureau études de la police nationale.
Une circulaire de gendarmerie, une autre de police encadrent l'emploi du PIE, qui "doit être strictement nécessaire et proportionné". "La philosophie vise justement à prévenir un éventuel usage abusif. Nous n'admettrons pas de dérive", assure le général Jean-Yves Safray, un des principaux auteurs du texte des gendarmes.
Sur le papier, tout est clair. Le pistolet électrique ne peut s'utiliser que dans trois cas : la légitime défense ; quand une personne peut paraître menaçante vis-à-vis d'elle-même ou d'autrui ; pour interpeller des auteurs de crimes ou de délits en situation de rébellion. L'arme ne doit être employée que dans des endroits dégagés, la victime ne contrôlant pas sa chute. Elle est prohibée lors des manifestations. Pour 450 euros supplémentaires, la version des policiers est munie d'une caméra qui permet de filmer la scène. Les gendarmes recommandent de tester l'arme sur soi. Pour les policiers, "nous ne le préconisons pas, mais nous ne l'interdisons pas", explique Christophe Fichot.

Les statistiques officielles se veulent rassurantes. La police aurait utilisé le Taser 395 fois, dont 165 en 2007. La gendarmerie comptabilise 105 utilisations en 2006 et 160 en 2007. Dans nombre de cas, il s'agissait de maîtriser des forcenés. "Nous avons une baisse parallèle de 14 % de l'usage des armes à feu et de 8 % des blessés dans nos rangs", avance le général Safray.
Aucun chiffre ne convaincra Virginie Barruel, 22 ans. Cette jeune femme de 51 kg pour 1,58 m a été interpellée le 30 avril 2005, à Lyon, à la suite d'une manifestation qui avait dégénéré. Quatre policiers de la brigade anticriminalité (BAC) l'ont maîtrisée et électrocutée à bout touchant, alors qu'elle était déjà à terre. Il a été admis après coup que la jeune femme ne faisait pas partie des casseurs. "La BAC a été dépassée ce jour-là et a utilisé le Taser inconsidérément", estime son avocate, Me Frédérique Penot.

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